Killian James écrasait les herbes folles sur son passage. Il marchait d'un pas décidé, buté sur l'objectif qu'il s'était fixé. Le vent soufflait et faisait se soulever la terre, dégageant une odeur de souffre. Les nuages déchiraient le ciel. Le monde dessinait un paysage apocalyptique, comme un présage, auquel Killian ne prêta aucune attention. Il continuait sa marche en direction du Nord. Des centaines de souvenirs se bousculaient dans sa tête, parfois douloureusement. Il se rappelait le château, l'odeur du sel marin, Sofia, et Gwen. Tandis que les larmes lui montaient, il secoua la tête pour chasser cette dernière de sa tête. En partant pour le Nord, il s'était juré de ne jamais plus penser à Gwen.

Gwen Abbott était parmi ce que Killian possédait de plus précieux. Elle s'était farouchement opposée à son départ, encore sous le choc des meurtres de sa famille. Mais Killian était décidé. Il ne pouvait plus permettre que leurs proches puissent souffrir. Il ne pouvait plus demeurer impuissant face à la cruauté des nordiques. Il avait décidé d'infiltrer Durmstrang malgré les interdictions répétées de Gwen. Il l'aimait tant qu'il fut capable de lui dire au revoir sur des éclats de voix, des pleurs et des supplications. Il l'aimait tant qu'il prit chemin pour le Nord, l'empire de leurs ennemis. De là, pour ne pas souffrir le martyr, il décida de ne plus jamais penser à Gwen. Killian pouvait affronter la douleur imposées par les gens du Nord, pas celles de l'amour. C'était là le drame de sa vie et, pourtant, il l'ignorait encore.

Il ne laissa derrière lui qu'une lettre. Dissimulée, Killian l'avait écrite pour Gwen. Il ne souhaitait pas qu'elle la trouve en même temps qu'il ne pouvait s'empêcher de la lui écrire. Chancelant, assailli par la peine et ses sentiments à vifs, il se mit en route. Le vent assécha ses yeux, l'odeur du souffre lui fit perdre le goût de la tristesse. Tout avait été chassé pour ne laisser place qu'à une détermination de fer. Il était devenu inébranlable.

Comme un chemin de croix, Killian marcha des semaines entières. Il refusait d'utiliser la magie. Comme pour expier ses fautes. Parfois, dans la nuit, quelques visages venaient le hanter. Celui de son frère, qu'il voyait agoniser, supplier et sangloter. Il se réveillait alors en sueur, tremblant, chancelant, nauséeux. Cette perte était définitivement l'une des plus lourdes qu'il ait vécue et la cicatrice béante qu'elle avait provoquée refusait de cicatriser. Il revoyait aussi Gabriel, celui qui tenta de panser les plaies de Killian, provoquées par la mort de son frère. L'amertume le gagnait souvent lorsque Gabriel le hantait la nuit. Son compagnon de toujours, de jeux comme d'armes, aurait pu l'accompagner. Ils avaient suffisamment mené front commun pour en être capable. Mais Gabriel tenta de le retenir. Il désapprouvait la mission de vengeance que s'était donné Killian. Puis, finalement, il le laissa partir pour le Nord. Un abandon. Puis un deuxième, avec Nathaniel. Emory avait tout perdu, plus rien ne le retenait. Il poursuivait son chemin.


L'air était de plus en plus sec. L'humidité dont il était coutumier avait disparu. Il ne connaissait plus rien ici. Il avait perdu tout ses repères, toutes ses habitudes. Comme un homme errant, il était sale, avec une barbe hirsute. Ses membres se faisaient plus frêles, ses pas plus lourds. Seul sa détermination ne semblait pas vaciller. Killian était déterminé. Hristov aussi. Il ne lui accorda aucun répits. A peine quelques jours après son arrivée à Durmstrang, il lui tendit un piège dans lequel Killian s'engouffra.

Allez, dis-moi qui t'envoie...

Il refusait de répondre. Ses lèvres étaient scellées par les dernières forces qui lui restait. Ses pensées étaient toutes tournées sur un détail insignifiant de sa vie, pour n'offrir aucun indice à son bourreau.
Killian ressemblait maintenant à une momie, décharnée, sans vie et fragile. Hristov brisait ses os comme du papier de verre. Des pans entiers de son crâne étaient dépourvus de cheveux, de peau. De longues traces de brûlures lui parcouraient le corps, le zébraient. Du sang séché le liait un peu plus à la table sur laquelle il était ligoté depuis des mois maintenant. Sa peau était blafarde, trop habituée à l'obscurité. Ses réflexes semblaient s'être évaporés, il était devenu une poupée de chiffon immobile et sans vie, que l'on pouvait frapper à sa guise.

Des gouttes perlent du toit de pierres. Une à une, lentement. Elles ponctuent le temps. La solitude. Le silence. Plus un bruit hormis ces gouttes. Killian ouvre ses yeux, tourne lentement la tête. Sa nuque le brûle : il n'a pas bougé depuis des mois. Il tente de lever ses bras, retenues par des cordes qui lui pénètrent la chaire. Le sang les a rongées. Un coup vif et bref les ferait voler en éclat. Mais Killian n'a pas cette force. Il donne de petits coups, lents et mous. Les cordes s'enfoncent plus profondément à chaque fois. Sa chaire se découpe comme de la viande sous un couteau aiguisé. Une légère grimace vient contracter son visage flasque, distendu et maigre. Un dernier effort et une corde cède. Il lève péniblement son bras devant lui. Il est décharné, pas plus épais que l'avant bras d'une fillette. Tout courbaturé, endolori, il retrouve lentement l'usage de ses sens, de ses membres. Quelques heures plus tard, il se lève péniblement de la table. Il se redressa avec difficulté, le sang et ses excréments formant comme une glue qui attaquait sa peau, qui tentait de le garder coller à la table. Sa peau, parfois, se détache de son dos pour rester sur cette table à laquelle il était scellé des mois durant. Et, enfin, il se dresse.

La bataille était lancée. Les arrières étaient désertés. Il n'avait qu'une pensée en tête : Gwen. Il voulait la retrouver. Avec les dernières forces qui lui restait, il transplana.


La clarté de la pièce brûlait les yeux de Killian. Il n'avait d'autres choix que de les clore avec douleur. Il entendait des cris de stupeur en même temps que de sentir son corps s'effondrer au sol. Et puis le silence, profond, apaisant.
Killian se réveilla quelques jours plus tard, confortablement installé dans un lit de bois aux draps épais et doux. A côté de lui, sur une chaise, dormait une sorcière âgée. La seule parente à laquelle il avait pensé pour l'aider. Elle lui avait prodigué nombre de soins dont témoignaient les innombrables pansements qui recouvraient son corps. Une baguette était posée sur un guéridon. Killian s'en empara, enfila une robe de sorcier et plop

La bataille faisait rage. Il reconnaissait des visages familiers qui luttaient pour leur vie. Des sortilèges fusaient de tous côtés en provoquant un vacarme assourdissants et des jets de couleurs aveuglants. Killian tentait de se frayer un chemin parmi les combattants avec pour seule idée de retrouver Gwen, Sofia, Nathaniel ou Gabriel. Ses maigres forces le rendaient lent, brouillon et peu habile. Il para de nombreux sortilèges de justesse et mis fin à nombre de duels avec difficulté. Peu à peu, il se faisait de plus en plus chancelant, comme à bout de force. Personne semblait le reconnaître, trop marqué par les tortures et la faiblesse imposées par Hristov. Pour la première fois de sa vie, il semblait perdre espoir. Il ne les retrouvait pas. Il ne la voyait pas. La panique montait en lui jusqu'à ce qu'un cri éclata dans l'air. Le cri de Gwen. Killian fit volte-face pour se ruer en direction de Gwen. Ses forces semblaient décuplées, ses jambes le portait avec une rapidité qui lui semblait surréaliste.
Enfin, il la vit. Talentueuse et brillante, gracieuse et dextre, elle était au prise avec trois sorciers qui lui assénaient coups sur coups. La rage s'empara alors de Killian qui brandit sa baguette. Un intense trait de couleur violet vint percuter l'un des assaillants et l'envoyer à plusieurs dizaines de mètres. Gwen demeurait concentrée sur son combat et ses deux autres assaillants. Elle stupéfixia l'un d'eux avec une rapidité déconcertante. Killian se hâtait pour la rejoindre. Lorsque Gwen l'aperçut, son visage blêmi. Son regard, lui, devenait embué. Sa concentration au combat faiblissait. Killian lançait coups sur coups. A eux deux, ils parvinrent à venir à bout du dernier opposants. Alors, ils se firent face, Gwen émue et Killian autant souriant que son visage le lui permettait. Derrière Gwen grandissait une lueur, de plus en plus intense, comme si elle irradiait.

Je t'aime.

Puis il se rua sur elle, la jeta hors de portée et prit la lueur grandissante de plein fouet. Le sortilège le toucha en plein poitrine, en un bruit assourdissant. Il s'effondra aussi sec sur les yeux effarés de Gwen. Sa tête percuta le seul avec un bruit mat. Killian souriait encore, il avait revu Gwen.

Aloysus Swan jetait son regard le plus loin possible, défiant sans cesse la ligne d'horizon. Il refusait de laisser la tristesse le submerger. Il avait pour désir de s'évader, quelques temps. Il sentait la solitude l'oppresser peu à peu, la colère et la panique, même. L'amertume lui enserrait le coeur lorsqu'il repensait à sa femme. Avec elle, tout avait été emporté. Aloysus se sentait nu, pauvre de tout. Et puis, un pleur le fit sursauter, sortir de sa torpeur. Il leva les yeux à l'étage, pour s'y ruer ensuite.
Dans un berceau de bois travaillé, Emory venait de se réveiller. Il pleurait à chaudes larmes, réclamant aussi la femme qui avait succombé un peu plus tôt dans la journée. Aloysus le prit dans ses bras et le serra contre son torse :

Elle nous manque à tous, Emory. Mais on va réussir à affronter cette épreuve, ensemble.

Les deux Swan était désormais seuls dans leur grande demeure, à affronter la solitude dans laquelle la mère défunte les avait laissée. Aloysus, loin d'être un mauvais père, s'était jeté corps et âme dans son travail. Il avait à lui seul rebâti le prestige des Aurors. Emory, quant à lui, grandissait à vue d'oeil avec la désagréable impression d'avoir volé la vie à sa mère. Les cauchemars viennent alors le hanter. Comme un poison qui l'attaque et lui suspend la vie, Emory ne peut se départir de cette idée selon laquelle sa mère serait encore en vie s'il n'avait pas été là.

J'aimerais bien avoir ce livre, là.

Sous l’œil stupéfait de son père, Emory pointait du doigt un épais volume de médecine. Calmement, Aloysus tenta de le rediriger vers un bouquin plus adapté mais Emory refusa. Il voulait ce livre. Son père accepta finalement. Des semaines entières Emory passait à lire ce livre. Il n'avait pas cinq ans qu'il le dévorait. Il ne comprenait pas la moitié des mots mais n'en faisait cure. Puis, peu à peu, d'autres ouvrages, plus sordides encore, s'accumulaient dans sa chambre qu'il ne quittait que rarement. Peu bavard, il passait ses journées à lire ses livres étranges. Il n'avait pas d'amis, peu de conversation et aucun goût pour toute autre activité que la lecture. Il passait des nuits entières, sous ses draps, à lire ses volumes que personne n'affectionnait autant que lui. Il était un enfant solitaire, introverti, malheureux.


Il devait être aux alentours des cinq heures du matin, l'on toqua à la porte. Emory, contrairement à son habitude, comme poussé par son instinct, releva la tête de son livre. Il le posa sur son lit et chaussa ses pantoufles afin de gagner le hall. Là, il ouvrit la porte, au beau milieu de la nuit, comme pour honorer un rendez-vous qu'il aurait fixé.

Tandis qu'Emory ouvrait les doubles portes, une silhouette se dessinait dans la nuit. Des cheveux roux apparaissaient, une jeune fille en dessous. Dans sa misère, un certain caractère se dégageait, une certaine prestance. Sans se poser de question, Emory lui tend la main et la dirige vers sa chambre dans laquelle ils vont se reposer. La jeune fille a beau être une parfaite inconnue, Emory sent au plus profond de lui-même un amour fraternel puissant et viscéral.


Le soleil peinait à se lever, au loin. Mais, déjà, Cordélia et Emory étaient autour du lac, à jeter des cailloux sur les crapauds osant sortir de sous leurs nénuphars. Les deux comparses étaient maintenant inséparables. L'un comme l'autre protégeaient et se faisaient grandir. Emory avait diamétralement changé au contact de la rousse. La solitude de sa chambre et l'ennui de ses livres ne l'intéressaient désormais plus. Dorénavant, il était aussi énergique que celle qu'il considérait comme sa soeur jumelle : Cordélia. Son père lui-même considérait la jeune fille comme sa propre progéniture. Emory ne supportait pas qu'elle soit trop longtemps loin de lui, et inversement. Ils passaient ensemble des journées entières à faire les quatre cents coups, à rattraper les six années qu'ils n'avaient pas pu passer ensemble. Fuguer dans les bois plusieurs jours durant, subtiliser des baguettes magiques, ils faisaient toutes les bêtises possibles et imaginables.