La poussière est vicieuse, elle s’incruste partout, elle se pose par fine couche, s’accumule, envahit tout. Elle entre dans la moindre fissure entre les dalles, s’entasse par légions de l’autre côté des tableaux. Parfois, on voit l’une des figures de la peinture en éternuer, gueuler sur le moindre élève qui ose passer sous son nez qu’on aille chercher le concierge. La crasse est partout dans ce château. Rier s’est souvent demandé pourquoi personne n’avait lancé un quelconque sort pour empêcher ce genre d’inconvénients. Maintenant, il l’apprenait à ses dépends. Quoi de mieux pour occuper les petits merdeux qui ont osé s’écarter du règlement que de les obliger à passer chiffons et balais comme de vulgaires moldus. On atteint des sommets d’inutilité, cela devient de la pure cruauté. Rier regrette le temps passé à se tourner les pouces en heure de retenue, le cul tranquillement posé sur une chaise sous l’œil ennuyé du professeur qui finissait souvent par le faire sortir en avance. Seulement, il est coincé ici maintenant, à nettoyer des pierres comme un foutu esclave à ruminer sa vengeance qu’il peaufine un peu plus à chaque petit coup de balai. Il ne se laissera pas humilié comme ça, non. Rier n’a rien d’autre à faire de sa vie qu’à rendre celle des autres tout aussi misérable que la sienne. Il ne sourit qu’à la détresse des autres, pauvre petite chose. Il joue un peu trop, se rit des dommages collatéraux. Il erre dans sa propre vie, sans grand but, motivé par sa libido et une grande rancune. Étranger au concept du samaritain. Personne ne lui a vraiment tendu la main. Il rend la pareille, un éclat mauvais dans les yeux. Le pêcheur a lâché ses filets dans le vaste océan, la proie se rapproche du piège qui refermera bientôt ses griffes. Le festin s’annonce copieux, il s’en frotte les mains. Rier prend son petit temps pour se préparer, pour se donner cet air si savamment négligé. Les cheveux un peu ébouriffés, la chemise qui perd ses deux premiers boutons. Il flâne, le plus tranquillement du monde dans les couloirs, matte quelques élèves en passant. Un clin d’œil par-ci par-là, sans un seul souci au monde. Personne ne devinerait qu’il se dirige quelque part, qu’il a lui-même fixé l’heure pour le seul plaisir de ne pas y être au bon moment. Il pousse enfin la porte, pas plus pressé que tantôt, pas la moindre expression de regret pour son retard sur le visage. Seulement, l’habituel sourire mauvais, celui qui cache mille couteaux. « Tu es en retard, je te ferais dire ! » Rier savait bien que sa nonchalance ferait mouche et rien ne l’amusait plus que l’air irrité qui déformait présentement les traits pourtant si calmes du préfet. Il s’avance vers lui, plus que nécessaire sans doute. Il est toujours comme ça, Rier, peu regardant des coutumes sociales, toujours à empiéter sur les espaces personnels des gens, ça les irrite, parfois, ça les intimide, souvent. « Oh calme toi, mon chat, je suis là maintenant. » Voix faussement mielleuse de la bête et sa tendance immonde à donner des surnoms animaliers complètement inappropriés. « Bon, qu'est-ce que tu me veux, Rier ? Si c'est pour me supplier de lever ta punition, tu peux toujours courir ! » Il paraît si visiblement excédé que Rier ne retint même pas un petit rire. Il était toujours si proche, trop proche par rapport à ce qui est considéré comme une distance normale pour une conversation anodine. Mais celle-ci ne devrait pas en être une. Et Rier n’avait aucun mal à sentir la gêne de son interlocuteur qui s’accentuait de plus en plus. Plus observateur que l’on ne croit, il remarque même les oreilles qui prennent des couleurs plutôt intéressantes. « Désolé, lapin, tu aurais beau sûrement adoré ça, je ne suis pas du genre à supplier. Quoique je dois dire que tes choix de punition sont pour le moins ennuyant, je m’attendais à beaucoup mieux venant de toi, vraiment. » Il se penche un peu plus à la fin de sa phrase, chuchotant presque ses derniers mots avant de les ponctuer d’un soupir faussement tragique. Comédien en or, ce Rier. « Mais revenons à ce qui t’intéresse. Je pense que nous ne sommes pas partis sur des bonnes bases tous les deux, vois-tu ? À cause de l’accident et tout ça, d’ailleurs, je m’en excuse, c’était sûrement un moment moins agréable pour toi que pour moi. » Nouveau petit rire, Alphonse avait vraiment déconné ce soir là, mais rien que d’y penser, il pourrait éclater de rire de nouveau. « Donc oui, il est grand temps que nous partions sur de nouvelles bases et que nous fassions plus amples connaissances, toi et moi. » Sourire entendu, toujours perdu dans ses éternelles petites blagues que lui seul semble comprendre véritablement.

Rier se tient là, tout sourires, un peu mielleux. Parfait prédateur audacieux. Il n’en est pas à son coup d’essai. Rier, il se plait à chasser presque chaque soir, inlassablement, on ne vit jamais trop longtemps. Des années d’expérience derrière lui, il a appris les ficelles du métier, les boutons qu’il faut enfoncer, les mots qu’il faut prononcer, la façon de se tenir. Dans l’histoire, Rier pense avoir toutes les chances de son côté, pour parvenir à ses fins. Son grand plan machiavélique, sa douce vengeance glaciale. Il sera un exemple pour tous les autres à venir. Personne ne s’en sortira indemne après avoir humilié Rier. Surtout pas, monsieur préfet en chef et ses grands airs. Tant et si bien que dans sa tête, Rier commence déjà à vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Il voit les signes, il s’est entrainé à percevoir ce que les autres ne remarquent pas. Une certaine gêne, un changement dans son souffle. Il pourrait mettre sa main à couper, que s’il effleurait sa poitrine, il pourrait sentir son cœur battre un peu plus vite. Alors même qu’A.V. pourrait très bien s’enfuir quand il veut, il ne finit que par reculer très peu. Rier a bien conscience de son emprise sur lui, les griffes qui se referment sur sa proie. Il s’estime en bon chemin. Tout se passe si merveilleusement comme il l’a toujours pensé. « Qu’est ce que tu veux qu’on fasse ? Un repas aux chandelles ? Laisse-moi rire... » Rier ne peut pas s’empêcher quelques éclats de rires devant si peu de conviction. Enfin, mieux vaut ne pas le vexer non plus. S’il n’a pas la sensation de marcher sur des œufs, un peu de précaution ne ferait pas de mal. Alors il ne répond pas tout de suite, il cherche les meilleurs mots ou il attend son heure. « Au lieu de ricaner, tu pourrais au moins me répondre ? » Nouveau grand sourire qui dévoile l’éclat de ses dents. Rier pourrait presque palper le calme qui déserte A.V. comme le sable qui coulerait d’un sablier. « Tu préférerais un petit-déj au lit ? » En réalité, Rier n’avait rien du type aux dîner de chandelles, ni même des petits déjeuners au lit. Rier, c’est plutôt le genre à s’évaporer avant votre réveil, pour ne plus que vous adresser que quelques sourires obscènes quand il s’ennuie. Mais Rier a d’autres plans pour A.V., il vise plus haut, plus loin. Il veut d’avantage qu’un peu d’attraction, un désir éphémère, il veut une véritable affection, au moins, pour une plus grande humiliation. Alors oui, il est prêt à faire quelques efforts et même des sacrifices pour y parvenir. « Et puis, j’ai toujours voulu voir à quoi ressemblait ces chambres individuelles de préfets. Tu te sens pas trop seul dedans, la nuit ? » Ses doigts viennent effleurer le menton d’A.V. réduisant de nouveau le peu d’écart qu’il y avait pu avoir entre eux. « Qu’est ce que t’en dis hein, chaton ? À moins que tu sois dans le genre timide, on peut sortir avant aussi, si tu préfères. C’est comme tu veux. » Sourire innocent, Rier lui fait miroiter une illusion de contrôle. Mais le piège se referme.