Le soleil de midi timidement pointe son nez en cette belle journée aux senteurs enivrantes. Les passants se prélassent dans cette chaleur bienvenue tandis que d’autres pressent le pas, désireux d’arriver plus vite à destination. Le tohu-bohu ambiant laisse suggérer un été qui s’achève pour rentrer dans la fraicheur de l’automne. Tout juste sorti de son travail de serveur au Jolly Imp., Ciaràn ne presse pas le pas. Il flâne alentour, observe, il a tout son temps, pour une fois qu’il n’est pas de service le soir. Heureux d’avoir trouvé un travail aussi rapidement il n’en reste pas moins qu’il n’est plus qu’une épave qu’on aurait oublié un peu trop vite dans un coin. Il se sait rongé d’un mal qu’il peine à défaire. Impossible d’oublier ces visions, ce sang, ces morts : ils le hantent dans ses rêves. Et maintenant qu’il est revenu dans la capitale qui l’a depuis vu grandir, son malaise ne s’est toujours pas atténué. Il y a bien trop de souvenirs qu’il aimerait occulter. La réalité qu’il avait fui pendant cinq ans lui est retombée dessus tellement brutalement qu’elle le brûle. Et il veut oublier. La boisson est devenue une de ses plus proches amies maintenant mais actuellement il est sobre. Il sait qu’il va rapidement être en manque, son corps s’étant subtilement habitué à cet apport quotidien d’alcool mais il profite de ces quelques instants de répit.
Sans qu’il y prenne garde, ses pas le mènent d’une rue à l’autre. Animé et bruyante, il aime à se fondre dans la masse d’une population qui n’est même pas capable de voir la magie devant elle. Et il se retrouve devant un grand immeuble, se souvenant qu’il est déjà venu ici. Mateus, retrouvé juste après son arrivée, l’avait retrouvé dans son bar, soûl et misérable. Depuis cette triste nuit, ils avaient néanmoins tissé un lien et étaient devenus amis : son appartement se trouvait dans cet immeuble. Il ne pouvait rien lui arriver de mal à monter pour aller le saluer ou plus si affinités. IL devait bien avoir une ou deux liqueurs cachées dans ses placards.
Il entreprend la montée des escaliers même s’il pourrait facilement transplaner jusque là-haut : trop de monde, trop de regards indiscrets. Il ne se risquerait pas à un procès parce qu’un moldu a vu un sorcier disparaître devant ses yeux. Ce n’est pas vraiment le moment d’engager des procédures judiciaires. Il arrive finalement devant la porte et frappe avec énergie. Il n’attend pas longtemps et lorsqu’elle s’entrouvre, l’ancien gryffondor manque d’avaler sa glotte. S’il y a bien quelqu’un qu’il ne s’attendait pas à voir c’était elle : Primrose. Et pourtant elle est là, telle qu’il se rappelait d’elle. Indécis, il ne sait quoi dire et reste ainsi une éternité avant d’oser ouvrir la bouche :

« Pardon je… Je me suis trompé d’appartement ou bien tu … habites ici ? »

Pathétique. Il ne lui avait pas dit les raisons pour lesquelles il s’était éloigné d’elle et ne lui avait pas dit au revoir lorsqu’il s’était volatilisé des années plus tôt, sans un mot pour personne. La seule phrase qui lui venait à l'esprit était "tu habites ici ?".

It's like you've gone away

❝So no one told you life was gonna be this way. Your job's a joke, you're broke, your love life's D.O.A. It's like you're always stuck in second gear. When it hasn't been your day, your week, your month, or even your year, but I'll be there for you. CIAROSE, chapitre I❞

Cela faisait déjà un petit moment que Mateus était parti quand Primrose se décida à émerger du sommeil. Elle s'était réveillée plus tôt dans la nuit, hurlant dans son oreiller à cause d'un énième cauchemar et si elle avait traîné par la suite un petit moment dans le salon, elle avait fini par s'endormir sur le canapé, absolument épuisée. A son réveil, elle avait trouvé une couverture déposée sur elle et elle n'avait pas mis longtemps à comprendre que son nouveau colocataire l'avait délicatement mise là de peur qu'elle n'attrape froid. Il était parfois étrange, l'auror, toujours à être aux petits soins avec elle, même quand elle se comportait comme la plus insupportable des gamines. Comme quoi, il y avait vraiment des gens avec un bon fond sur terre – une chose dont elle avait bien souvent douté. Traînant sa vieille carcasse dans l'appartement, elle passa par la case douche pour bien se réveiller avant de n’enfiler qu'une des chemises du brun – celle-ci lui tombant jusqu'aux genoux. Du fait qu'elle avait fui son mariage sans prendre le temps de réfléchir à l'avance à sa décision, elle n'avait plus rien à elle et pas même quelques habits à porter. Elle piquait donc sans la moindre gêne dans les vêtements de son camarade qui faisait mine de pas s'en apercevoir et ne disait donc rien à l'ancienne gryffondor. Retournant tranquillement en sifflotant jusqu'à la cuisine, elle regarda avec un air dubitatif les petites boîtes avec des post-it se trouvant sur les divers meubles avant d'exploser de rire en en lisant un. Visiblement, le grec avait peur de la laisser s'occuper seule de son petit déjeuner et il avait absolument tout préparé pour être sûre que la Lehane ne ferait pas tout partir en fumée. Une attention mignonne – et elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas avoir eu confiance en ses pathétiques connaissances culinaires. Primrose venait en effet d'une grande famille sorcière et elle n'avait donc jamais eu à s'occuper de ce genre de choses par elle-même. Les elfes de maison s'étaient toujours occupé de toutes les tâches ingrates du manoir et c'était la première fois que la brune devait se débrouiller par elle-même. S'installant tranquillement sur un tabouret en se servant son café et en grignotant une tartine, elle sursauta en entendant quelqu'un taper à la porte et c'est presque instinctivement qu'elle s'empara de sa baguette, persuadée qu'il s'agissait des hommes de main de son fiancé qui étaient venus pour la chercher. Se fustigeant mentalement en se rappelant que ceux-ci ne prendraient probablement pas la peine de toquer à la porte avant de la défoncer, c'est d'un pas léger et toujours avec son café à la main qu'elle allait ouvrir, accueillant la personne avec un sourire – sourire qui se fana rapidement alors qu'elle reconnut son vis à vis. S'il y avait bien une personne qu'elle ne s'attendait pas à voir ce matin là, c'était bien Ciaràn Maxwell – et à voir la tête que faisait celui-ci, la réciproque était tout au aussi justement. Le regardant de haut en bas, elle croisa avec mécontentement ses bras sur sa poitrine alors qu'elle l'entendait parler. Elle lui en voulait toujours beaucoup, non seulement de s'être éloigné d'elle sans raison mais aussi, d'être parti du jour au lendemain. En tant normal, elle se serait contentée de lui renverser son café sur le crâne et de lui claquer la porte au nez mais elle se demandait bien ce qu'il pouvait faire ici. « J'habite ici. » Elle dit, avec amertume alors qu'elle plisse des yeux en le fixant avec intensité. Comme elle le pensait déjà, il n'était visiblement pas venu la trouver elle et elle se demandait comment elle devait se sentir à ce sujet. Un peu blessée, visiblement. Elle ignorait qu'il était un si grand ami de Mateus – au point de débarquer chez lui un midi sans même prendre la peine de prévenir. « Si tu es venu voir Mateus, il est déjà parti au travail. » Elle commente en portant sa propre tasse à ses lèvres alors qu'elle ne le quitte pas des yeux une seule seconde. Il n'a pas l'air bien, Ciaràn. Il a le teint un peu blafard, l’œil un peu éteint et elle se demande ce qu'il a pour avoir une telle tronche. Elle n'est pas sadique, Primrose, pas comme Proserpine l'aurait été dans le passé. Non, elle, elle est gentille même si elle le cache, elle se soucie de ses proches mêmes quand ils l'abandonnent. Elle s'inquiète pour Ciaràn même si avec son comportement, il ne le mérite pas. « T'as une sale gueule. Rentre, je vais te servir du café. » Elle roule des yeux en se décollant de l'entrée pour partir tranquillement en direction de la cuisine sans lui laisser la possibilité de refuser ce qu'elle lui propose. Elle est comme sa Primrose, elle ne demande jamais rien, elle fait toujours sa petite princesse et elle impose tout. Mais ça, Ciaràn doit déjà le savoir.

Son cœur rate un battement devant la porte qui s’ouvre et les sons que profèrent sa bouche lui semblent soudain d’un désintérêt le plus total. Lui qui considérait Prim comme une de ses plus proches amies, maintenant il ne sait plus quoi dire et il reste totalement bête à la regarder de haut en bas. Il a comme cet impression de déjà vu sans parvenir totalement à mettre le doigt sur ce qu’il a justement vu ou pas. Elle a l’air au moins autant surpris que lui de le voir échoué ici. Ce doit être une surprise pour beaucoup de monde de le voir revenir subitement du royaume des disparus mais il ne peut plus faire marche arrière maintenant. Et il s’en veut soudain encore plus atrocement d’être parti sans un mot. Evaporé dans la nature, prit la poudre d’escampette et sans se retourner. Pauvre naïf. La réalité revient toujours en pleine face à celui qui la fuit et un jour ou l’autre il faut l’affronter. Aujourd’hui est l’un de ces moments et Ciaràn n’en mène pas large. Le ton amer qu’elle adopte avec lui achève de le convaincre qu’il n’aurait peut-être pas dû venir ou tout au moins vérifier que Mateus était chez lui.

« Oh… »

Oui c’est tout. Devant le regard de Primrose, amère, il n’arrive plus à dire un mot. A croire que la culpabilité l’étouffe quelque peu. Elle ne le quitte pas des yeux et lui regarde un peu partout pour éviter ce regard qu’il ne parvient pas vraiment à supporter. Mateus n’étant pas là, il saute nerveusement d’un pied sur l’autre, il agrippe le chambranle de la porte, il tripote la doublure de sa veste, tout pour oublier son malaise grandissant. Et au moment où il s’apprête à dire qu’il va partir, elle l’invite à entrer et, sans plus de cérémonie, le plante là. Il la reconnaît bien là. Un sourire presque non voulu vient éclairer ses traits ravagés par une fatigue et un manque qui se font de plus en plus sentir dans son organisme à l’agonie. Il n’est pas au mieux, il ne sait pas si elle l’a remarqué. Il ne veut pas qu’elle le remarque mais son visage doit certainement le trahir.
Il la suit dans l’appartement et, le nez en l’air, joue les visiteurs. Il est beau et lumineux et il se demande soudain ce que Primrose a pu devenir, ce qu’elle fait maintenant, comment est-ce qu’elle a bien pu atterrir là. Autant de questions qui se bousculent dans sa tête et qu’il lui tarde presque de poser mais sans oser toutefois. Il ne sait pas par quel bout commencer. En arrivant dans la cuisine, il sait exactement par où commencer même s’il ne sait pas vraiment comment elle va réagir. Il doit se jeter à l’eau à un moment ou à un autre et entamer la conversation le plus naturellement du monde en lui demandant ce qu’elle fait dans la vie lui semble légèrement inapproprié.

« Prim, je … Je suis désolé. »

Et ces mots veulent tout dire pour lui. Il ne précise pas le pourquoi du comment il est juste désolé. Il n’y a pas de mot plus fort pour la convaincre qu’il s’en veut d’être parti. Il la regarde, ses yeux bleus plantés dans les siens pour appuyer encore plus ses propos, lui affirmer tout ce qu’il dit. Il tente de se faire une contenance mais il ne sait pas vraiment à quoi il ressemble là, à guetter sa réaction. Il la veut de retour dans sa vie sans lui infliger les peines qu’il s’inflige à lui-même. Il veut lui éviter ces rêves incessants de torture et de mort où son visage est présent. Est-ce vraiment trop demandé ?