Layla était dans la douche, en train de se laver les cheveux, quand soudainement elle perdit pied. Pas par une quelconque maladresse ou un bout de savon, mais bien parce que son esprit lui avait soudainement envoyé un bribe de souvenir. La sorcière se ressaisit et attrapa la barre de support de la douche. Son cœur battait la chamade, alors que les images rejouaient en boucle dans sa tête. Ça ne pouvait pas être son propre passé, elle n’avait jamais rien vécu de la sorte. Et malgré tout, Layla avait revu ce moment comme on repense à cette fois où on a rencontré un chevreuil à 4 ans. C’était un souvenir lointain, flou mais qui lui était revenu tout naturellement. Elle reprit sa douche avec plus de lenteur et des mouvements bien moins assurés. Ce souvenir, ça ne pouvait pas être le sien! Comme tous les autres qui s’y rattachaient d’ailleurs. Depuis des années, des images décousues, amenant chaque fois autant de questions que de réponses s’imposaient dans son esprit. Des mémoires d’une autre époque, un autre monde… une autre vie. Ça ne pouvait pas être elle. La femme de ce passé était ténébreuse, assurée et avait quelque chose de profondément sombre. En même temps à son âge, Layla avait passé l’époque où elle pouvait s’imaginer être blanche comme neige elle-même. Cette femme, cette Belphera, elles n’étaient pas les mêmes femmes… mais ses souvenirs avaient un goût amer d’appartenance pour Layla. Après sept ans à lentement voir la vie de Belphera s’immiscer à travers les images de sa propre histoire, c’était dur de nier. C’était même impossible depuis un an ou deux, alors que c’était devenu de plus en plus fréquent. Mais le déni était une bouée que la sorcière ne pouvait toujours pas se permettre de lâcher. La peur de sombrer… de rejoindre cette ombre du passé qui était rentrée dans sa tête.

« Layla bon sang, tu vas prendre toute l’eau chaude! » la principale intéressée faillit reperdre l’équilibre en sursautant. Ça faisait déjà un bon 5 minutes qu’elle était immobile sous le jet d’eau chaude, les yeux clos. Sa coloc’ était une perle, mais la priver d’une douche matinale équivalait à déclarer la guerre. Prestement, la brune ferma les robinets et sortit de la douche pour s’enrouler dans une serviette, ouvra la porte aussitôt et engouffrant son amie d’une vapeur chaude, qui sembla aussitôt la détendre. « Désolée! Ce soir je fais le dîner pour compenser! » Derrière la blonde qui lui faisait face, une horloge trônait au mur derrière. He merde, il était déjà 8h40 et elle devait être au boulot à 55 précise. La jeune femme se mit à courir jusqu’à sa chambre avec en fond une pique amicale de sa chère Coloc « Ouais, je sais pas si c’est une compensation ou une menace de meurtre! »

C'est la fin de la soirée. Les rues de la ville sont couvertes d'un manteau de neige qui parait aussi doux que ma propre cape. Je ris aux éclats alors qu'un homme me sert ses histoires un brin ennuyant. Même si mon rire est factice, ma bonne humeur est véritable, elle. Simplement, elle ne lui est pas destinée. C'est une euphorie purement égoïste, accompagnée d'une hâte à me faire trépigner comme une enfant. Certes, mon cavalier de ce soir n'était ni à la hauteur au niveau du divertissement, de la danse ou même de l'intellect, mais je connais au moins une chose en laquelle il excellera, pour sûr. Nous marchons quelques minutes de plus, accompagnés seulement par la lumière des torchères extérieures quand je sens le bon moment arriver. À notre droite, une ruelle se profile. Je m'arrête soudainement et le regarde, avec un sourire séducteur et hésitant. « Pardonnez mon audace, mais je ne peux plus attendre. » dis-je en m'approchant. Je ne lui laisse pas le temps de répondre et l'embrasse fougueusement. La suite est bien évidente, cet homme est d’un caractère tellement… prévisible. Il nous entraîne sous l’ombre agréable de la ruelle et me presse contre lui. Il recule pourtant ses lèvres, à bout de souffle. « Est-ce bien sage, milady? » il colle son front au mien, l’air rêveur. Pour peu, il m’attendrirait. Je caresse sa joue et lui murmure doucement « Ne vous en faites pas, je tâcherai de vous garder sage ». Le sourire qu’il me rend m’annonce qu’il a complètement baissé sa garde. Il m’emporte à nouveau dans un baiser et cette fois, ma main droite s’éloigne subtilement. Je tapote ma bague d’argent en un endroit précis et elle se serre autour de mon doigt. Un enchantement transforme les ongles de cette main en griffes et je viens les lui planter dans la nuque, son cri étouffé par mes lèvres. Aussitôt je le sens se détendre complètement. J’ai touché dans le mille, il ne peut plus bouger. Je retire mes griffes. Ma main gauche presse son torse pour le garder en place et ma droite, sanglante, va chercher ma baguette dans ma poche. « Silencio. ».

Après ça, tout est flou. Je suis en transe, il est sous moi ; j’ai son sang sur mes mains et dans ma bouche, je le bois comme on boit un vin. L’espace d’un instant je crois bien que je me demande si les vampires goûtent la même chose, si moi aussi j’aurai la jeunesse éternelle en buvant le sang des autres. Je ne sais plus si je suis moi ou quelqu’un d’autre, mais chaque sensation est libératrice, extatique. Quand je relève la tête pour inspirer une bouffée d’air frais, les yeux clos, je me fige. Au loin, deux yeux me fixent du moins je crois que c’est moi qu’ils fixent. Ce sont ceux que j’ai observés tout le long du bal de ce soir. Je ne le connais à vrai dire pas du tout, mais son regard perçant et sa prestance ont attirés mon attention. Il l’attire encore, d’ailleurs. Je prends plusieurs secondes à tenter d'éliminer ma confusion. Il ne peut pas décemment me voir en ce moment et c'est impossible qu'il soit là, j'ai les yeux fermés! Mes yeux s'ouvrent aussitôt et je vois qu'il n'y a rien. Mais je suis étrangement bouleversée, un calme me revient et je perds l'envie de boire ma victime, sur laquelle mes yeux se baissent. Je lui lance un regard de mépris amusé, lèche une dernière fois ses lèvres ensanglantée et me relève, m’enfonçant un peu plus dans la ruelle pour y transplaner. Je ne peux m’empêcher de regarder au loin néanmoins, cherchant l'objet de mon obsession de la soirée et même une fois le paysage disparu de ma vision pour laisser place à ma chambre, mon esprit décrit encore inlassablement les traits de l’inconnu. Si seulement je me rendais compte qu’il provoque en moi la même obsession que le sang, je le fuirais.

Le souffle court et le regard paniqué, Layla se réveilla assise dans son lit. À ses côtés, celui qui partageaient sa chambre pour la nuit en fut à peine dérangé et vint entourer la taille de la jeune femme de ses bras. Instinctivement, celui de Layla se releva et laissa la tête du blond se reposer sur sa cuisse, toujours aussi endormi. Elle le fixa un moment et aurait certainement lâché un soupir attendrit si ce n'avait pas été de sa respiration qui ne voulait pas reprendre son rythme et de son cerveau qui lui envoyait sans cesse des signaux de panique. La brune fixa la noirceur ambiante, à la recherche de ces deux yeux qui l'avaient tant marquée dans son rêve. Ils n'étaient pas là et ce n'était clairement pas ceux de James à côté d'elle. Rapidement néanmoins, elle se calma. Un goût dans sa bouche lui avait inspirée cette soudaine détente. Un liquide onctueux. Ses doigts s'élevèrent et touchèrent sa bouche. Même dans la profonde pénombre, la sorcière devina ce que c'était. Du sang. Sans même y penser, elle posa son index imbibé et avala le sang qui s'y trouvait.

Le calme que cela lui procura ne fut que de courte durée. Dans un geste de terreur elle repoussa James sur le dos et se mit à l'examiner, le touchant pour savoir si il avait saigné, si ce n'était pas son sang à lui qu'elle venait d'ingurgiter. Bien sûr le sorcier se réveilla lui aussi en sursaut et en voyant son amie effrayée comme ça, il lui attrapa les poignets, la retenant dans ses touchers frénétiques. « Layla bordel, qu'est-ce qui se passe!? ». Celle-ci se figea, encore confuse mais soulagée. « H-heu... désolée, j'ai juste eu un rêve réaliste... j-je j'ai cru que tu étais blessé. » Le châtain s'adoucit et la recoucha sur le côté avant de la serrer contre lui. Discrètement, Layla suçota sa lèvre inférieure blessée pour en ôter le sang... et aussi pour le boire, mais elle n'allait quand même pas le recracher, non?

Le mur semblait être arrivé vite, mais par chance, sa main avant réagit juste à temps, l'empêchant de se cogner et tomber. La scène qu'elle venait de revivre, comme ça les yeux dans le vide, le souvenir intense de la douleur de ses blessures. Tout était si vrai. Elle en était perdue, déboussolée. Que faisait-elle déjà, juste avant? « Est-ce que je suis morte...? » «Nope! Bien vivante ma m'zelle! » répondit un homme d'une voix rauque et enjouée. La brune rougit instinctivement de s'être fait remarquer comme ça. En regardant l'inconnu, elle pu  remarquer derrière lui qu'elle était sur le chemin de traverse. Ses esprits lui revinrent rapidement et elle eu un sourire contrit. « Désolée monsieur! ». L'homme rit et après une tape sur l'épaule, traça son chemin. Layla passa une main sur son crâne, pour repousser les quelques mèches qui s'étaient échappées de sa queue de cheval. Ces souvenirs étaient fortement dérangeants. Pourvu que ça ne lui prenne pas une fois au chaudron baveur...

L'ancienne Serdaigle se rendit donc au fameux pub. Là l'attendait une vieille amie de Gryffondor, qui avait aussi été gardienne au Quid. Après un match la lionne s'était bien blessée à la jambe et Layla était venue lui donner de l'onguent. Elle avait d'abord eu l'air méfiante, mais Layla n'était pas du genre à faire des bassesses. Elle était bien trop timide et anxieuse pour ça en ce temps. Aujourd'hui ça faisait bien deux ans qu'elles ne s'étaient pas vues et la nostalgie la prenait déjà. Une certaine appréhension aussi, depuis Poudlard où elle restait toujours en retrait et avait le don de se mettre à mal avec les mauvaises personnes, Layla avait développé du culot, du caractère. Il en fallait face à bien des créatures magiques qui devenaient nuisibles. Elle le sentait, qu'elle était un peu plus féminine, moins énervante et avait plus de répondant. Elle n'était plus une cible facile. Elle ressemblait plus à... Belphera. Il faudrait bien une soirée en compagnie d'une amie pour faire passer le malaise ambiant dans sa vie. Ou peut-être pour oublier que toutes les soirées du monde n'empêcheraient pas le processus qui s'était déclenché en elle.