J'étais tranquille, peinarde, genre les doigts de pieds en éventail – pourquoi doigts de pieds, d'ailleurs, on pourrait pas simplement dire orteils ? Donc, j'étais au calme et je m'emmerdais un peu derrière mon comptoir, à compter le nombre de minutes qui s'écoulait entre l'instant où la cloche sonnait, et celui où je me rendais compte que c'était juste le vent. En semaine, le boulot est plutôt pépère. On fait juste les confiseries, on améliore les recettes, on tente d'en créer des nouvelles, et je fais souvent des propositions géniales, comme :
« Hey, les gars, et si on pionçait un peu ? Sérieux, vous vous faites pas... »
Et ils me coupaient toujours en répliquant :
« Bosse. »
On était, mais
vraiment pépères, alors j'en vois pas l'utilité. Ce matin, je me suis déjà brûlée trois fois avec du caramel et j'ai tellement gobé de bonbons que j'ai l'impression d'être toute ronde. Comme une tomate. Enfin, une tomate ronde. Y'a des tomates qui sont pas rondes. Un peu cabossées. Comme les
Cœurs de bœuf. Elles, elles sont pas rondes. Quand je suis crevée, je fais vraiment de la philosophie extraordinaire. Vous pouvez pas comprendre mon génie, c'est pour ça que vous trouvez ça un peu tiré par les cheveux. D'ailleurs, j'ai oublié de les coiffer ce matin et en arrivant, j'ai eu le droit à toutes les remarques du style :
«
Ben, qu'est-ce qui c'est passé ? » ou «
T'es tombée du lit ? »
En fait, j'suis vraiment tombée du lit mais je veux pas leur avouer. Je voulais encore chasser le chat qui est venu miauler – devrais-je dire HURLER – dans ma piaule et je me suis rétamée comme une grosse daube. Je me suis même tordue un
doigt de pied. C'est mal de se moquer des gens, et eux, c'est des moqueurs. J'ai pas envie de leur faire du mal en tentant de lancer un sort, vous comprenez. Ouais, enfin, je sais pas trop quel sort leur lancer ni comment. Me traitez pas d'incapable. Y'a des trucs que je sais lancer, comme l'
expelliarmus, mais je sais pas comment je le réussis. En tout cas, ça marche toujours. Trop de talent, qu'est-ce que vous voulez ?
Tout ça pour dire que je sentais qu'ils allaient se moquer et que je le supporte pas, alors j'ai fait comme si c'était un nouveau style. Tifs ébouriffés, marche de zombie et tout le tralala. Mais quand j'ai commencé à faire tomber du caramel, ils ont compris.
« LA MEUF ELLE EST PAS RÉVEILLÉE. »
Et forcément, ils se sont moqués. Des fois, je les adore. Et puis, après, je les déteste. Là, je les déteste parce que je me suis pas remise de cette humiliation, et par le calbute de Merlin, j'aime pas être humiliée. Ils me le paieront. Un jour, je trierai tout un sachet de dragées de Bertie Crochu, je les colorerai pour les rendre attrayants, et je leur donnerai que les goûts dégueulasses. Je peux être diabolique, les amis.
« Et si on mettait plus de sang dans les sucettes ? proposai-je pour faire diversion »
Et puis, aussi parce que Sinan me l'avait demandé. Enfin, elle l'avait pas vraiment demandé, mais j'avais cru comprendre. Et puis, f*ck, hein, je voulais mettre encore plus de sang parce que les vampires, ils aiment le sang, et comme Sinan c'est ma copine, je voulais lui faire plaisir.
Je commençais à m'endormir quand j'ai entendu quelqu'un faire :
« On a une grosse commande de sucettes au sang pour la garde-chasse de Poudlard.
— Okay, je prends ! m'écriai-je en accourant presque dans la réserve pour prendre un sachet dans la caisse des sucettes »
J'ai senti leur étonnement, et j'imaginais bien leur regard presque choqué.
« Tu... veux qu'on vienne avec toi ?
— Non, dégagez, je vous hais, marmonnai-je en sortant.»
Ou alors je leur ai dit un truc comme :
« LAISSEZ MOI BANDE DE VILAINS. »
Je me rappelle plus trop.
Par contre, le chemin jusqu'à Poudlard, je m'en rappelle très bien. On passe toujours devant une maison, où une dame doit faire des tartes aux fraises trente fois par jour, parce que ça embaume carrément – et ça m'aide à me guider, c'est vrai...
Bref, me voilà devant la cabane qui sert de refuge à Sinan, avec un sachet de sucettes certainement rouge vif dans les mains, les cheveux en bataille, l'air hagard et pâle comme un... vampire.
Est-ce que je crie ? Est-ce que je frappe ? Non mais c'est quoi ces questions existentielles ? Ah, j'entends un grincement significatif : la porte doit s'ouvrir. Coucou Sinan ! Ou alors, c'est pas elle. Imagine que je tombe sur un tueur qui vient de tous les tuer ? Un tueur qui tue, sans déc'... Tss.
Je pourrais toujours lui faire croire que je maîtrise le kung-fu. En plus, comme je suis asiatique, ça passerait nickel. Le cliché de malade.
En tout cas, c'est chaud patate, là.
(c) Bloody Storm
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