« Sybil baisse toi ! » hurla Samuel. Elle n'eut pas le temps de se baisser. Tout ce qu'elle put faire, fut de se retourner, et de faire face à son beau-père qui la fixait avec une haine telle que Sybil n'en avait jamais vue. Et puis, vint le rayon de lumière verte. Et le néant. Vous savez ce que l'on dit sur la mort ? Comme quoi l'on revoit toute sa vie devant ses yeux juste avant de passer de vie à trépas ? C'est vrai. Juste avant le néant, ce fut comme si tout d'un coup, Sybil revivait ce qu'il y avait eu d'important. Et qu'elle comprenait bien mieux les choses.

Le jour de son mariage avait été très beau si l'on prenait ce fait dans son objectivité la plus totale. Epouser Samuel Greengrass était prévu de longue date, en tant qu'aînée des filles Williams, elle écopait du meilleur parti. Elle avait treize ans le jour de leurs épousailles, et lui quinze. Il était alors grand et maigre comme un clou, totalement empoté. Il était également l'aîné de sa fratrie. Et lorsqu'elle fut conduite à l'autel à ses côtés, il lui adressa un sourire un peu gêné, et lui murmura qu'elle était très belle. Du haut de ses treize ans, elle se savait belle. Et elle avait parfaitement conscience qu'elle devait être heureuse de ce mariage. C'était ainsi, dans les familles de sang-pur, le mariage arrangé était une tradition. On n'y coupait pas. Et ça aurait pu être bien pire. Enfin, jusqu'à l'année qui suivit. Sybil et Samuel eurent une fille, nommée Johanna. Elle ne vécut qu'une année, avant de mourir d'une maladie infantile. Le père de Samuel blâma Sybil, puis, de façon plus générale son côté de la famille, les jugeant faibles, et estimant qu'ils avaient peut-être fait une erreur en liant leurs familles. Il fallut toute la force morale de Samuel pour que Sybil ne sombre pas. Mais elle en ressortit bien plus forte. Jusqu'à la mort de ses parents. Quelques mois après, ils décédèrent tous deux de façon mystérieuse. Enfin, mystérieuse, façon de parler. Sybil savait très bien ce qu'il s'était passé. Son époux faisait comme s'il ignorait la vérité, mais elle savait. Et lorsque son frère aîné était venu la voir, détruit par le chagrin et lui avait demandé pourquoi leurs parents étaient morts, elle ne chercha même pas à retenir ses mots. « Il les a tué. Le père de Samuel. » Et son regard disait « il paiera ». Ils paieront tous, se le promit-elle.
Nous étions alors en 1613, et la guerre venait tout juste de commencer. Et Sybil, obsédée par la vengeance et alors âgée de quinze ans rejetait un peu le pouvoir anglais, et se sentait attirée par Durmstrang, cette école si lointaine et à la fois si proche... Tout le monde parlait d'une bataille entre le bien et le mal... Sybil ne voyait ni bien ni mal ici. Seulement le pouvoir. Et du pouvoir, Sybil en voulait. On avait détruit sa famille par folie, elle voulait rendre la pareille à son bourreau. Et son lâche de mari qui ne voyait rien...  Et puis, elle l'avait rencontré. Il n'était pas resté à Poudlard très longtemps, juste le temps de lui faire perdre la tête. Alexeï. Un étudiant de Durmstrang. Elle n'aurait pas pu rêver meilleure obsession. Elle n'avait pas mis très longtemps avant de lui mettre le grappin dessus. Après tout, elle avait également des choses à offrir. Son temps, sa personne, et quelques informations.
Sa relation avec Alexeï dura quelques mois. Quelques mois durant lesquels cette guerre fit rage, durant lesquels elle ne se douta pas le moins du monde des conséquences de ses actes. Après tout, personne ne le savait, non ? Jusqu'à ce que son frère le découvre. « Sybil, arrête ça » lui dit-il directement. Depuis la mort de leurs parents, ils étaient devenus bien plus proches qu'avant. Elle était sa petite sœur préférée, il était son seul confident. « S'ils apprennent que tu pactises avec l'ennemi, tu finiras comme père et mère ! » Elle avait éclaté de rire en remettant ses cheveux chatains en place. « Pactiser avec l'ennemi. Tu es d'un tragique cher frère ! Je ne fais rien de mal. Je prends un peu de bon temps, je... » « Tu te mets en danger. Tu leurs donne des informations. Ce n'est pas comme si tu étais totalement ignorante. Les Greengrass sont investis dans cette guerre tu le sais. Et cela leur retombera dessus. » Sybil avait souri et posé une main sur celle de son frère. « Exactement. Ils souffriront. Autant que nous, nous avons souffert. » Il avait ôté sa main et secoué la tête. « C'est de la folie. Et cela ne nous aidera pas à réparer ce qui fut brisé. »
Les paroles de son frère la firent plus réfléchir que ce dont elle en avait l'intention. Peu après, elle cessa toute relation avec Alexeï qui retourna de toutes façons à Durmstrang. Ce fut la dernière fois qu'elle le vit. Elle avait beau haïr les Greengrass, à la vérité, elle adorait Samuel. Ils étaient proches plus amis qu'amoureux mais dans ce monde, c'était déjà beaucoup. Samuel avait besoin d'elle car il était en réalité plus faible qu'elle. Il avait été élevé par ce père fou furieux, et il était terrorisé à l'idée de devenir aussi fou que lui. Sybil avait trop de tendresse envers lui pour lui souhaiter quel mal que ce soit. Mais pour le reste de cette guerre, elle se jura de rester totalement neutre. Elle avait aidé ceux que tout le monde considérait comme les ennemis. Elle se disait avec un peu plus de maturité qu'elle avait fait assez de dégâts comme ça.

En 1617, elle donna naissance à une autre fille, nommée Georgiana. Celle-ci semblait forte, et elle survécut. Elle survécut même à sa mère. Sans qu'elle ne sache comment ni pourquoi, son beau-père finit par apprendre qu'elle les avait trahi un jour, qu'elle avait souhaité leur nuire. Pendant des semaines il lui fit plusieurs remarques qui lui laissaient supposer qu'il savait. Lorsqu'elle en parla à son frère, il lui proposa de fuir. « Ce soir, on part. Tu ne dis rien à personne. Tu prends Georgiana, et on quitte la ville. » Elle n'eut jamais le temps de quitter la ville.

Laissez moi maintenant vous conter l'histoire d'une jolie petite blonde. « Maman ? Maman ? » appelait la petite fille blonde. Elle n'avait que quatre ans, et elle n'avait jamais rien connu d'autre que le Manoir Greengrass. Elle entra dans une grande pièce toute blanche, au sol de marbre glacé en cette journée d'hiver. Dans un coin de la pièce trônait un piano à queue écru. Une dame aux longs cheveux aussi blonds que ceux de la petite fille, le dos bien droit y était installée. La fillette se précipita vers elle, et se hissa sur le banc à côté de sa mère. Mrs Greengrass interrompit le morceau qu'elle était en train de jouer, et tout en replaçant une mèche de cheveux bouclés derrière son oreille, coula un regard vers sa fille. « Oui Freya ? » La petite Freya sourit de toutes ses dents à sa mère. Même en souriant elle n'avait pas l'air doux et avenant de Céleste Greengrass. Cette gamine était le portrait de son père, sauf pour les yeux et les cheveux. « Maman, je peux aller jouer avec Dae ? » la demande était parfaitement innocente. Freya n'avait jamais eu beaucoup d'enfants avec lesquels jouer. Son grand frère Isaac, et sa cousine Daegan étaient à vrai dire les seuls. En ce temps là, les deux premières branches de la famille Greengrass avaient encore quelques contacts. C'était avant ce que Freya nomma « le traumatisme ». Céleste se mordilla un moment la lèvre, avant d'incliner la tête légèrement. Elle ne pouvait rien refuser à sa fille. Freya se précipita à l'extérieur retrouver Daegan qui ne vivait pas si loin que cela. Oh comme en ces temps là, la vie était simple. Freya adorait son frère et sa cousine, et même si elle était la plus jeune, elle ne se sentait pas rejetée.

Mais sautons quelques temps, jusqu'au traumatisme. Freya avait sept ans, son frère Isaac en avait neuf. C'était un soir de juillet, particulièrement chaud. Freya avait eu du mal à s'endormir. Finalement, lorsqu'elle parvint à trouver le sommeil, les cauchemars vinrent la troubler un peu plus. Elle était poursuivie par son frère, qui peu à peu se changeait en bête féroce qui tentait de l'assassiner. Elle se réveilla dans un hurlement. Il lui fallut un certain temps pour remarquer que son hurlement n'était pas le seul à résonner dans la nuit. Isaac hurlait également. Mais Freya était petite, et elle ne comprenait pas tout ce qu'il se passait. Elle quitta son lit, et ouvrit la porte de sa chambre, mais sa mère se précipita et s'engouffra dans la pièce, fermant derrière elle. Sans rien expliquer, elle s'agenouilla, pris sa fille dans ses bras, et la berça longuement. Freya pleurait, emplie d'horreur. Elle ignorait ce qu'il se passait, mais le hurlement de son frère restait gravé dans son esprit et longtemps après qu'il eut cessé de résonner dans le manoir, elle continuait de l'entendre.
Le lendemain, les Greengrass se retrouvaient à Ste Mangouste, au chevet d'Isaac. Il était pâle, et de son cou à son torse s'étendaient des cicatrices qui ne se refermaient pas facilement. Celeste tenta d'expliquer à sa fille ce qu'il s'était passé cette nuit là. Ce fut difficile. Même maintenant, Freya ne se souvient pas de cette conversation, tant elle fut choquante pour elle. Isaac avait été attaqué par un loup-garou. Désormais, il en était un également. Il fallut du temps pour qu'Isaac s'en remette. Et tout autant pour Freya. Elle qui avait toujours été une petite fille vive et remuante, était soudainement devenue très calme et surtout elle restait tout le temps avec Isaac. S'ils avaient été proches depuis la naissance de Freya, désormais il s'agissait d'un comportement presque problématique. Dès que Freya était séparée de son frère trop longtemps, elle souffrait d'angoisses. La première pleine lune de son frère fut une épreuve pour tous les deux. Freya passa la nuit sans fermer l’œil dans le lit de ses parents. Et au matin, lorsqu'Isaac alla se coucher, elle s'endormit à ses côtés, le tenant par la main.
Quelques semaines après, Isaac parla de la malédiction pour la première fois. « Tu sais, Papa dit que je ne suis pas le premier dans la famille. » « Le premier quoi ? Lycan ? » Isaac acquiesça. « Il paraît qu'il y a une malédiction sur la famille. Qu'on finit toujours par être touchés. Visiblement pour moi c'est fait » conclut-il sombrement. Ils n'en reparlèrent plus pendant un temps. Mais quelque chose avait changé chez les Greengrass. Kaeden qui avait toujours été un peu bizarre devint soudainement nettement plus froid envers les autres Greengrass, comme s'il les tenait pour responsable de l'état de son fils. Celeste, quant à elle après avoir été à Ste Mangouste ne quitta plus jamais le Manoir. Freya légèrement influencée par son père, commença également à s'éloigner de sa cousine. Et ainsi commença l'éloignement qui mena plus tard à la haine.

Un peu avant d'entrer à Poudlard, les Greengrass réalisèrent que quelque chose d'étrange se passait avec Freya. Très souvent elle semblait deviner certaines choses, comme si elle savait ce qui allait se passer. De petites choses toute bêtes au début, comme la pluie qui allait soudainement tomber, la phrase que son père allait dire juste avant qu'il ne la dise, quelle assiette Isaac allait casser... Au début, ils crurent qu'elle était particulièrement sensible et qu'elle faisait preuve d'une grande perception. Mais c'était bien au delà de cela. Celeste fut la première à s'en rendre compte. Elle posa une main sur la joue de sa fille, et la regarda, les yeux plein de sympathie. « Freya, oh ma toute petite... Je crois que tu as un don de voyance. » Son père renifla d'une manière méprisante. « Celeste, cela n'a rien d'un don. Ca fait partie de l'héritage Greengrass, et tu le sais. Il n'y a rien de bon là dedans. Freya est tout aussi condamnée qu'Isaac. Maudit soit Amateus. Il n'a pas été touché lui. Ses enfants non plus. » Kaedan était amer. Et cette amertume avait fini par déteindre sur Freya et Isaac. Désormais, ils n'avaient plus aucun contact avec Daegan. Et lorsqu'ils avaient le malheur de se croiser à Poudlard, on pouvait être sûrs que cela risquait de finir en duel magique.
Hormis donc sa haine grandissante de l'autre côté de sa famille, son frère loup-garou et son don de voyance, Freya eut une scolarité normale. Répartie à Serdaigle (le choixpeau hésita longuement avec Serpentard, mais jugea que sa créativité dépassait son ambition) elle eut des notes exemplaires à chaque examen (sauf en astronomie sa bête noire. Par contre, elle était très douée en potions). A Poudlard, elle eut plusieurs petits copains, qu'elle utilisa avant de jeter à chaque fois. Alors que toutes ses amies tombaient amoureuses (tout du moins, aussi amoureuse que des adolescentes peuvent l'être) elle en était incapable. Son seul amour, c'étaient les livres. Pendant un temps, Isaac se moqua d'elle, persuadée qu'en cinquième année elle avait lu tous les livres de la bibliothèque de Poudlard. (C'est faux). 
C'était sans surprise que Freya se dirigea vers un monde de mots et de choses à lire : celui du journalisme (oh, et elle aimerait bien écrire un livre aussi, un jour peut-être). Sitôt après avoir quittée Poudlard, Freya se servit de son nom (et de certaines de ses capacités de manipulation sournoise mais néanmoins très efficace) pour obtenir un premier stage à la Gazette du sorcier. Stage qui au final s'est transformé en emploi. C'est une des plus jeunes journalistes que l'on puisse trouver à la Gazette. En fait, on pourrait dire que sa vie est paradisiaque. Jeune en pleine réussite professionnelle, belle... Mais ce don de voyance a vraiment le chic pour tout compliquer. Cela fait des mois que les flashs deviennent de plus en plus présents, sans qu'elle n'aie aucun contrôle là dessus. Plus jeune, Freya s'était renseignée sur la voyance, et avait appris que ça pouvait être contrôlé. Certes, les prophéties ne l'étaient pas, mais tous ces flashs on pouvait les provoquer ou les empêcher. Pas les subir comme elle le faisait. Mais le pire, ce n'est pas de voir des choses d'un futur proche sans le vouloir (oh combien de secrets a-t-elle éventé comme ça) mais bien, ces choses qu'elle ne s'explique pas. Comme ces impressions de déjà-vu, ces flashs concernant des gens qu'elle croise que pourtant elle ne connaît pas, mais que dans ses visions elle connaît pourtant. Et puis, il y a ce serveur, qui lui plaisait bien. Dès qu'elle le voit désormais, elle est assaillie de flashs de lui dans des positions... Plus que suggestives alors même qu'ils n'ont rien fait ensemble. Oh, comme Freya déteste ce don sur lequel elle n'a aucun contrôle.
Mais Freya est une Greengrass. Et on ne parle pas de don, mais de malédiction.